
Mis à jour le 26 juin 2018
Publié le 17 juin 2013
Difficile car à 47 ans j’ai l’impression d’avoir eu plusieurs vies, grâce au voyage car j’ai eu la chance de commencer très tôt à parcourir le monde : je vivais en Jordanie quand j’avais 7 ans… Alors zappons trente ans de ma vie, nous gagnerons du temps. Je suis chroniqueur littéraire depuis une dizaine d’années au magazine Lire, où je traite entre autres des livres de voyage. J’ai été reporter (notamment à Géo), critique gastronomique, auteur de documentaires pour la télévision, j’ai fait de la radio et publié une vingtaine de livres (sous différents noms), des dictionnaires et des anthologies sur l’Abyssinie et Tahiti au Mercure de France. J’ai toujours concilié mon travail avec mes passions et les principales sont le voyage et la littérature. Mais je m’intéresse aussi beaucoup à la gastronomie…
Long Cours est une revue trimestrielle haut de gamme de 200 pages, consacrée aux récits de voyage et aux reportages. Mais pas seulement : elle tente d’expliquer le monde actuel en donnant la parole à des gens de terrain : écrivains nomades, grands reporters non blasés, photographes curieux, scientifiques décalés, illustrateurs bourlingueurs.
Elle est née il y a plus de trois ans, au sein du groupe Express Roularta (éditeur entre autres de L’Express, Lire, Classica, Côté Sud, L’Étudiant…). Les directeurs généraux, Corinne Pitavy et Christophe Barbier, souhaitaient développer un nouveau concept de « magazine book ». Long Cours a d’abord été, sous un autre nom, un magbook sociétal. On a fait appel à moi quand la direction du groupe a décidé de se distinguer des autres mooks en axant celui-ci sur l’évasion.
Long Cours s’adresse aux lecteurs curieux, ouverts sur le monde. La revue se veut positive. Le but n’est pas de larmoyer sur les drames de l’actualité, comme le font trop souvent les journaux télévisés. Mais de mettre en valeur l’inépuisable créativité humaine, de rendre compte de la diversité du monde, de sortir des sentiers battus et de l’information prédigérée pour rappeler qu’il existe des initiatives pleines d’avenir et des solutions à nos problèmes partout sur la planète, qui demeure fascinante.
Il y a tous les cas de figures. Certains reporters ont des idées de sujet très précises et toutes les idées originales sont les bienvenues ! Dans le cas des écrivains, nous leur laissons le plus souvent carte blanche. Jean-Christophe Rufin, par exemple, m’a proposé de raconter son passionnant voyage à Compostelle. Mais il a mis un point d’honneur à ne pas reprendre un passage écrit pour son livre, publié peu après : son texte pour Long Cours est une version différente, inédite, illustrée de ses propres aquarelles, franchement réussies.
Sylvain Tesson, voyageur emblématique, regorge d’idées de sujets : c’est un homme de terrain, en plus d’un poète visionnaire. Sinon, nous commandons des sujets auxquels je réfléchis depuis longtemps : ce fut le cas pour le barrage en Amazonie, la communauté libre de Christiania au Danemark, la capitale fantôme de Birmanie…
Nous avons aussi lancé de grandes enquêtes et nous produisons des reportages chaque mois : l’écrivain Olivier Weber vient de partir à Istanbul et j’envoie en même temps un journaliste littéraire à Miami, pour raconter l’envers du dernier roman de Tom Wolfe. Et depuis le lancement de la revue, de nombreux reporters en herbe nous contactent quasi quotidiennement pour nous suggérer des articles. Il y a parfois de bonnes surprises. Il faut être à l’écoute de la nouvelle génération.
Il tient au fait que Long Cours est une revue et non un magazine comme Géo ou Grands Reportages. L’illustration est beaucoup plus pratiquée dans la presse anglo-saxonne, qui nous a inspirée. Nous faisons appel aux illustrateurs dont nous avons remarqué le travail, nous en avons trouvé certains via des agences spécialisées. J’aime particulièrement ceux que nous publions dans notre numéro 4, comme Jean Jullien, Mega ou Olivier Balez…
Cela dit, nous accordons aussi une grande place à la photo, en publiant quatre portefolios par numéro. Sophie Gibeau, notre responsable photo, fait un excellent travail, elle connaît les photographes, elle a longtemps travaillé en agences de reportages et reconnaît d’un seul coup d’œil un travail original. En fait, nous alternons les sujets photo et ceux avec dessins, pour créer une dynamique de lecture. Et nous clôturons avec un récit graphique, sorte de respiration après de longs textes, car c’est un aspect non négligeable du nouveau reportage. La BD joue un rôle important dans la culture actuelle, et elle a souvent été liée au voyage : il y a eu, bien sûr, Tintin et Corto Maltese mais ils ont de talentueux héritiers… Comme Marcelino Truong ou Loustal, que nous sommes fiers d’avoir publiés.
Ce choix, pertinent, est celui du groupe Express Roularta, qui souhaitait explorer un nouveau domaine. Il y a déjà beaucoup de magazines sur le marché, le secteur est en crise, notamment publicitaire. Une revue de qualité, un peu plus chère qu’un magazine, mais sans publicité et avec plus de pages, est un nouveau modèle économique. Et elle est vendue en librairies, pas seulement en kiosques, ce qui permet de toucher un lectorat différent, qui ne se focalise pas sur l’actualité, aime prendre du recul et apprécie un bel objet qui se conserve comme un livre.
Le succès formidable – et mérité – de XXI a inévitablement inspiré tous les autres mooks apparus ces dernières années (il y en a une bonne vingtaine), consciemment ou non. Cela dit, Long Cours a cherché à se distinguer de ce modèle par une politique éditoriale différente, une maquette plus sobre, élégante, une approche littéraire, moins « sociale » que XXI. En ce qui concerne la ligne éditoriale, les revues qui m’ont inspiré sont essentiellement feu Actuel, Granta, le New Yorker ou Rolling Stone de la grande époque. Feuilleton a un peu les mêmes influences (à l’exception d’Actuel) mais reste très américain et assez élitiste. Je ne suis pas forcément objectif mais, à ma connaissance, avant Long Cours il n’y avait pas de revue française alliant à la fois qualités littéraires, photo-reportages, enquêtes et récits de voyage.
Long Cours n’est pas une revue politique. Nos auteurs ont leur propres convictions, qui peuvent parfois transparaître dans leurs textes et nous ne les censurons pas. Caryl Férey, l’auteur de polars à succès, a eu libre cours de tenir des propos proches de ceux de Che Guevara quand il évoquait le passé de l’Argentine. Idem pour Luis Sepulveda, qui dénonce les industriels dans son très beau texte sur le Chili. Quant à nos reporters, ils viennent aussi bien de Libération que du Figaro Magazine : ils reflètent un large panel de courants de pensées.
Cela dit, quand il est question d’environnement (à l’échelle planétaire), et notamment de réchauffement climatique, nous ne pouvons pas éviter de nous engager : pour moi, cela dépasse la simple politique, ces questions cruciales nous concernent tous, que nous soyons de gauche ou de droite, chrétiens, bouddhistes ou musulmans. Nous avons publié les formidables reportages de Sylvain Tesson au Groenland et de Julien Blanc-Gras aux Kiribati pour rappeler cette triste réalité. Mais ils ne prennent pas parti : ils témoignent de ce que chacun peut constater en s’y rendant : la glace fond dans le grand nord et le niveau des eaux monte dans le Pacifique sud… Quant au barrage géant de Belo Monte, il symbolise une contradiction du monde moderne, pas seulement spécifique au Brésil : comment un gouvernement, qui se prétend socialiste, peut-il privilégier des intérêts économiques au détriment des peuples premiers (les tribus d’Amazonie, qui vivent du fleuve) et de l’environnement ? C’est une vraie question d’actualité.
Long Cours est une revue de découverte, axée sur l’évasion, les pays étrangers (nous ne traitons jamais la France) mais n’est pas une revue « touristique » : elle laisse la place à la réflexion. En abordant des thèmes aussi variés que l’économie, l’ethnologie, l’environnement, les conflits régionaux ou les sciences du futur (nous abordons par exemple la cyberguerre dans notre nouveau numéro)… Et c’est une revue littéraire, contrairement aux autres mooks apparus ces dernières années, car nous faisons essentiellement appel à des écrivains du monde entier (l’égyptien Alaa el Aswany, le britannique William Boyd, les américains Jerome Charyn ou Jim Fergus, les italiens Roberto Saviano ou Erri de Luca, le cubain Leonardo Padura, entre autres), que ce soit pour un reportage, une enquête sur la mafia, un récit ou une nouvelle inédite.
La valeur ajoutée est la matière grise : ces auteurs peuvent nous aider à comprendre la complexité du monde actuel, sans a priori, sans pensée formatée. Et ils ont du temps pour enquêter sur place, puis du temps (et de la place) pour écrire… Sur dix à douze pages de texte, vous pouvez expliquer le massacre des requins en Australie, un « tribal tour » en Tanzanie, les gisements de schiste de Fargo, l’histoire des Indiens mapuche ou l’importance du luxe dans une Chine officiellement communiste.
La maquette est pour beaucoup dans le succès de la revue. Mais elle évoluera, petit à petit, en fonction des remarques des lecteurs : nous avons par exemple remis « à l’endroit » la nouvelle inédite placée au centre de la revue, car les lecteurs se plaignaient d’avoir du mal à la lire… De même, nous n’excluons pas de nouvelles rubriques : certaines sont apparues dans les deux derniers numéros, comme la chronique de Marie-Hélène Fraïssé, pionnière du travel writing sur France Culture, ou les récits des animateurs de l’émission Echappées Belles sur France 5. Des réflexions sur les applications numériques sont en cours. Une revue se doit d’évoluer puisqu’elle reflète une époque elle-même en évolution permanente…
Le plus grand rassemblement de la planète ? Il fallait s’en douter, c’est un pèlerinage.
© Éric Bouvet
Nous n’excluons pas de faire appel à des blogueurs, surtout s’ils sont talentueux. Peut-être pas tout de suite pour la revue elle-même mais dès que possible pour notre propre blog.
Je ne conçois pas de voyager sans guides : j’en emporte plusieurs à chaque déplacement, y compris en France. Ils apportent une vision synthétique indispensable à la compréhension d’une destination, malgré le problème de la réactualisation inhérent au genre. Ils sont tous très différents et se complètent. L’avantage d’un guide est de traiter de tous les aspects, de manière encyclopédique, ce qui me plait par dessus tout : géographie, histoire, cuisine, coutumes, langue, culture, lieux mythiques, restaurants… Je les collectionne depuis plus de vingt ans : je garde précieusement tous ceux qui m’ont accompagné, annotés, certains couverts de taches et gonflés d’eau de pluie ou d’embruns, dont l’indispensable Guides Bleus, et bien sûr vos guides Evasion – qui s’appelaient Visa quand j’ai commencé à partir en reportages. Il m’arrive aussi d’acheter chez les bouquinistes des guides plus anciens, notamment des éditions rares ou des collections disparues, qui reflètent une époque mais contiennent encore des informations historiques encore viables. Tous ces guides occupent chez moi plusieurs bibliothèques ! Je les contemple amoureusement, je les feuillète souvent, je m’y réfère pour vérifier des informations, car ils reflètent d’une certaine manière un instantané de notre planète.