
Mis à jour le 9 janvier 2020
| Bretagne
Publié le 24 août 2013
Je voulais découvrir depuis longtemps les fameux rochers sculptés par l’abbé Fourré. À quelques encablures de St-Malo et de sa foule estivale m’attendait un moment de calme, une véritable parenthèse artistique aux accents mystiques. Je vous raconte.
Rotheneuf est aujourd’hui un quartier périphérique de St-Malo, absorbé par le développement de la cité corsaire. En débarquant j’apprécie son aspect villageois, avec sa place de l’église et ses quelques commerces, ses maisons de granit, son havre naturel apprécié des pêcheurs et des voileux. Sans oublier ses quelques nobles demeures, comme le manoir de Limoëlou, habitation de Jacques Cartier transformée en musée.
En arrivant sur le site, une fois le chouette resto Le Benetin dépassé, je domine les falaises de la Côte d’émeraude, avec ses criques de sable blond, ses îles de pierres sombres, ses vieux gréements qui passent au loin. Le GR qui relie Cancale à St-Malo passe juste derrière : il faudra que je me lance sur ces chemins une prochaine fois.
En 1894, l’abbé Fourré, un ecclésiastique qui exerçait son ministère du côté de Paimpont, est contraint de se retirer à Rotheneuf. Est-ce cet exil, ce nouveau cadre de vie et de prière ou une folie créatrice qui le conduisent à sculpter au burin un promontoire rocheux de granit face à la mer ? Nul ne le sait et pas mal de théories circulent sur l’homme et son œuvre. En tout cas ce n’est pas les infos délivrées sur le site qui m’aideront à mieux comprendre : elles sont proches du néant.
Une œuvre colossale. C’est ce qu’a produit ici l’abbé Fourré en 16 années, de 1894 à 1907. Près de 300 sculptures burinées à même le rocher, face aux éléments qui ici se déchaînent régulièrement. Les embruns, les vents, les pluies viennent chaque année mettre à mal cette merveille. Ajoutez à cela la présence importante de touristes et vous comprendrez que ce site n’a pas une durée de vie infinie, ce qui lui donne une valeur encore plus élevée.
Les thèmes de ces sculptures sont variés et parfois sujets à discussion. A-t-il décrit la vie d’une famille de contrebandiers de Rotheneuf comme certains l’affirment ? S’est-il contenté de représenter des épisodes bibliques et religieux à laquelle sa vocation l’invitait ? S’est-il laissé aller à une créativité débridée, représentant son propre panthéon intime, voisinant avec la folie ? Sûrement un peu de tout ça à la fois.
J’ai rencontré ici une foule de personnages, qui sortent littéralement de la roche. Ce qui m’a frappé en premier ce sont ces visages aux grosses lèvres, ces profils qui accueillent le visiteur dès l’escalier d’accès : ils semblent former autant de vigies qui scrutent le large. Plus bas j’ai deviné la présence de quelques saints (à coup sûr bretons), qui font penser aux enclos paroissiaux du Finistère. L’abbé a créé également quelques chapelles et décors en reliefs, dominant son peuple miniature.
Plus loin ce sont des animaux qui sont couchés sur le sol. Des veaux, des reptiles et des oiseaux accompagnent les figures qui se détachent du sol, non sans évoquer celles de l’île de Pâques. Le tout fait aussi penser à un tableau de Jérôme Bosch : enchevêtrement de visages, de corps, de scènes, à décrypter et étudier. Au milieu de ces représentations mystiques, l’abbé a tout de même choisi de rendre hommage au héros local : Jacques Cartier est ici, près à reprendre la mer vers le St-Laurent, ultime hommage du vieux fou à l’Océan et aux éléments qui l’ont inspiré durant 16 ans.